Le don de vision, cadeau et malédiction...

I L’héritage de la Dame Noire :

Village de Lamgul, par une belle matinée d’hiver. Le ciel était bleu et clair, un timide soleil commençait à percer, faisant briller les plaques de glace et la neige fraîchement tombée quand des cris stridents retentirent. 7 oiseaux apparurent près des monts Brumeux, faisant retentir leurs cris sauvages sur les flancs rocheux.

Elle arrive elle arrive !!! La Dame Noire arrive !!! s’écria un villageois.

L’air devint soudain lourd et plus chaud. Les villageois s’étaient empressés de se réunir autour du grand chêne centenaire qui trônait au milieu de la place publique pour y attendre celle que tous connaissaient et attendaient chaque année avec impatience.
Tous éprouvaient des sentiments ambigus envers celle qu’ils appelaient la Dame Noire : haine et respect, peur et admiration, elle ne laissait personne indifférent. Tous savaient qu’elle seule possédait la sagesse et les connaissances nécessaires pour se risquer à l’art des divinations.

Une vieille femme apparut alors, encapuchonnée dans une longue et épaisse cape noire. Son fin visage, pâle comme la lune ne trahissait aucune émotion, seules quelques mèches grises, signe de vieillesse dépassaient de son capuchon, encadrant son visage. La femme avançait péniblement, appuyée sur un bâton surmonté d’une pierre verte translucide qui reflétait les minces rayons du soleil. Elle s’arrêta quelques instants pour reprendre son souffle et fixa alors de ses yeux perçants l’assemblée qui lui faisait face, dévisageant les villageois pendant plusieurs interminables minutes sans dire un mot. Personne ne bougeait, tous attendaient un signe, un geste, une parole.
Un villageois ne tenant plus s’avança alors et pris la parole.

O grande Dame Noire ! Toi qui voit tout, n’es-tu pas venue ici, en ce jour d’hiver nous éclairer sur l’année à venir ? Ne nous diras-tu pas si nous devons craindre une période de guerre, de souffrance et de famine ou bien au contraire, une année de calme paix et prospérité ? Vas-tu nous laisser dans l’ignorance et le désarroi le plus total ?

La vieille ne répondit pas. Les minutes s’écoulèrent, silencieuses . Puis, doucement, la femme prit enfin la parole.

Si je suis venue en ces lieux, ce n’est pas pour vous révéler mes prédictions comme chaque année… du moins pas tout de suite. J’ai des choses plus urgentes à régler… de ces choses qui ne peuvent attendre… Je suis vieille, trop vieille, vous le savez tous, je l’ai lu dans vos regards. J’ai rassemblé mes dernières forces afin de préparer au mieux mon départ. Oui, mon départ… L’heure est venue pour moi de me retirer. Mais avant de partir, il me reste une dernière chose à accomplir…

La vieille femme pris une profonde inspiration.

J’ai hérité il y’a bien longtemps d’un don merveilleux et terrible à la fois, le don de vision…peu de personnes sont capables de le maîtriser et il est temps pour moi de transmettre mon héritage.

Elle leva alors les yeux au ciel et murmura :

Oui l’heure approche à grands pas… quelqu'un se sent-il assez fort pour supporter ce fardeau?

Les villageois baissèrent tous les yeux vers le sol, silencieux.

La vieille esquissa un petit sourire en coin.

Comme c'est étonnant...

Elle s’approcha alors de la foule et se fraya un passage jusqu’à s’arrêter devant une jolie jeune femme qui tenait dans ses bras un nourrisson.

Vous ! Approchez !

La jeune femme jeta alors un regard d’incompréhension vers son compagnon qui lui fit un signe de tête afin qu’elle s’exécute. Elle s’avança donc en direction de la Dame Noire qui la dévisagea quelques instants du regard. La jeune femme était belle, très belle. De longs cheveux dorés retombaient en cascade sur ses épaules dénudées et contrastaient avec sa peau halée. Son visage fin inspirait la douceur, ses yeux reflétaient la bonté et la pureté de son âme. Elle était vêtue d’une légère robe de satin blanche qui virevoltait sous la brise fraîche qui s’était levée. Mais ce n’est pas la charmante apparence de la jeune femme qui retint l’attention de la vieille, cette femme n’était pas une simple humaine. Autour d’elle émanait une lumière floue, une aura si forte qu’elle ne pouvait être juste une humaine ayant reçu la bonne grâce des dieux.

Une angelle… Je ne me suis donc pas trompée. murmura la vieille.

Ces mots résonnèrent dans la tête de tous les villageois. Bien sûr, ils avaient tous entendu parler de ces êtres divins, créatures ailées avec un anneau doré , pures et pleines de bonté, luttant contre les êtres démoniaques et habitant la grande cité dans les nuages, mais jamais l’un d’eux n’en avait réellement vu. Jamais l’un d’eux n’avait soupçonné que cette jeune femme que tous connaissaient pouvait être l’une d’entre elles…jamais. Et pourtant.

La timide angelle pris alors doucement la parole, d’une voix douce et posée.

Avec tout le respect que je vous doit ô grande Dame Noire, je ne pense pas être assez sage pour faire bon usage du grand don que vous avez à offrir… je…

La vielle l’interrompit d’un geste, un sourire narquois sur le visage.

Vous ? N’ayez crainte chère ange, vous êtes certes sage mais je vous réserve une tout autre mission. Je sais que vous pratiquez la magie, vous n’êtes pas la seule d’ailleurs…

Le regard de la vieille femme se perdit quelques instants en direction de l’homme qui accompagnait l’angelle.

Enfin, je m’égare…c’est votre enfant qui m’intéresse. Votre fille…

A ces mots le sang de l’angelle ne fit qu’un tour. Il était hors de question que cette femme touche au fruit de ses entrailles. Il était absolument inconcevable qu’elle la laisse faire de la vie de sa fille une vie pleine de doute, de harcèlement constant et de tout ce que pouvait impliquer le don de vision. L’angelle s’apprêtait à répondre à la vieille quand cette dernière, sentant le refus de son interlocutrice s’empressa de fournir les raisons de son choix.

Je comprend votre peur, je n’ai jamais été mère, mais je comprend… Mais vous êtes sage, vous savez que ce n’est pas un choix dû au hasard… ce bébé a été choisi ! Seule la sagesse et la bonté d’une angelle couplées au courage et à la débrouillardise d’une humaine peuvent permettre de supporter ce don.

Oui, mais vous ?

Moi… disons que c’est plus compliqué. Mais nous prenons du retard! Allons, confiez moi votre fille je vous prie, l’heure du rituel a sonné.

La nuit venait de tomber comme un lourd voile noir, recouvrant un ciel dépourvu de la moindre étoile, éclairé uniquement par la pâle face bienveillante de la pleine lune.

L’angelle confia donc à contre cœur sa fille à la vieille femme. Cette dernière s’approcha alors du grand chêne, elle déposa délicatement le nourrisson dans un petit panier en osier au pied du vieil arbre puis traça un cercle consacré avec son bâton sur le sol de façon à ce que le bébé se trouve en son centre.

Je trace ici les limites du Cercle Sacré,
Gardiens des tours Est, Ouest, Nord et Sud y sont appelés
Air, Eau, Terre et Feu chargés de la puissance des Dieux
Que ce cercle soit consacré.

Elle déposa ensuite 4 bougies blanches au niveau des 4 points cardinaux.

J’interdit à quiconque de poser ne serait ce qu’un seul pied dans ce cercle, sans quoi le fragile équilibre serait rompu.

La vieille s’approcha du bébé. Elle commença alors à invoquer les dieux dans une langue qu’aucun des villageois présent ne pouvait comprendre. Tout à coup, une douce lumière entoura la vieille et l’enfant jusqu’à ce qu’ils ne soient plus visibles, cachés par les rayons éclatants qui émanaient du cercle. Seule les invocations de la vieille se faisaient encore entendre, de moins en moins fortes, comme un faible murmure. Puis, plus rien. L’intensité de la lumière se mis à baisser progressivement jusqu’à disparaître complètement, dévoilant la vieille allongée sur le sol inconsciente l’enfant dans les bras. La vieille avait rassemblé ses dernières forces pour permettre le bon déroulement du rituel maintenant terminé, mais non sans conséquence pour sa santé. Elle était faible, trop faible. Un villageois s’approcha des deux corps inanimés. Il posa sa main sur le front de la vieille femme, il était froid… la Dame Noire n’était plus.

Alors ? s’écria un villageois, est-elle… ?

Le villageois secoua la tête en guise de réponse.

La mère du bébé laissa s’échapper un cri de douleur et couru en direction de son enfant. Elle pris le bébé inanimé dans ses bras et tremblante, commença à dérouler la couverture dans laquelle la vieille l’avait enroulé. Les pensées se bousculaient dans sa tête pendant qu’elle déroulait, et si sa chère fille l’avait à jamais quittée ?? Elle ne se le pardonnerai jamais. Et si… ? La couverture était déroulée.

Dieu merci elle est saine et sauve !

Le bébé fixa sa mère du regard, les yeux pétillants de malice, un grand sourire sur les lèvres, il gazouillait tranquillement. Des larmes de joie se mirent à couler le long des joues rosées de l’angelle qui serra son enfant contre elle en fermant les yeux. C’est alors qu’elle sentit une légère chaleur l’envahir. Elle vit une lumière blanche, la même qui était apparue autour du cercle, une mince silhouette pouvait s’y distinguer, la Dame Noire. Elle était là, une expression satisfaite sur le visage et s’adressa une dernière fois à l’angelle.

Le don a été transmis, mais écoutez bien ce que je vais vous dire ma fille. Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, cet enfant doit être initiée à l’art ancestral de la magie pour en mesurer l’étendue, je vous confie donc son éducation magique. J’aurais adoré le faire moi même mais, il en a été décidé autrement. Cette enfant est entre de bonnes mains, mon âme part en paix… mais je dois vous prévenir, Artémis est née sous le signe de la Lune, sous la protection de la déesse Astarté, ce qui implique une certaine…

La voix de la vieille se fit de plus en plus faible.

Une certaine ?? Je vous en prie ! Répondez-moi.

Une certaine…dualité.

La lumière disparu emportant la Dame Noire à tout jamais. L’angelle rouvrit les yeux, les villageois la fixaient étonnés.

Son compagnon s’approcha d’elle et la prenant délicatement par les épaules lui murmura.

Mais à qui donc parlais-tu ??

Je…je… Artémis, c’est ainsi qu’elle serra appelée, en sa mémoire.

Tu m’expliqueras tous ces mystères plus tard. Tu es épuisée ma chérie, rentrons à la maison.

Le couple s’éloigna avec l’enfant, le soleil se levait, symbole de renouveau et d’espoir, une nouvelle vie allait commencer pour eux.

II Un début laborieux:

Artémis, reviens ici !

La fillette de sept ans jeta un regard malicieux en direction de sa mère avant de disparaître dans la forêt avec ses camarades de jeu, riant à gorge déployée.
Epuisée et lassée de ses courses poursuites avec sa fille, sa mère n’eut d’autre choix que de la regarder fuir une fois de plus devant ses futures responsabilités. […]

Chut ! Regardez, il est là !

La joyeuse troupe cachée dans un buisson observait un écureuil.

Kangtaaaaaaaaaaaaa !

Les chasseurs en herbes jaillirent tout à coup de leur cachette, manquant de provoquer un infarctus chez la pauvre bête terrorisée.

Scriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiic !

Ce dernier s’empressa de grimper dans l’arbre le plus proche, les yeux exorbités, et poussant des cris stridents, les enfants à ses trousses, sauf…

Artémis ! Où allez-vous comme ça jeune fille ?!

La fillette n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qui se tenait derrière elle… la partie de rigolade était finie.

-Tu vas me faire le plaisir de rentrer à la maison une bonne fois pour toute ! Ton père t’attend pour la leçon depuis maintenant plus d’une heure !

-Mais, maman je…

-Il n’y a pas de mais qui tienne !

Le ton de sa mère en disait long, la négociation n’était pas envisageable. Artémis fit la moue mais suivi sa mère qui la tenait fermement par la main de peur qu’elle ne tente une quelconque feinte dont elle avait le secret pour retourner jouer. […]

Ah enfin ! Artémis, laisse moi deviner… tu as encore fait courir ta mère ?

L’enfant acquiesça, les yeux rivés au sol.

Bon, tu es là maintenant, c’est l’essentiel, allez viens t’assoire.
Aujourd’hui, nous allons étudier la Belladone.

La fillette prit son crayon et commença à prendre en notes les sages paroles de son père.

La Belladone, ou Atropa Belladona est connue depuis longtemps pour ses vertus toxiques Ses racines anthropomorphes ont conduit les médecins de l’Antiquité à l’utiliser pour guérir…

Plus les minutes s’écoulaient, plus l’inattention de l’enfant grandissait, si bien que les notes se transformèrent bientôt en gribouillis et petits dessins.

Non pas qu’elle n’aimait pas la magie. Non ! Au début, mélanger des liquides visqueux, immondes et puant pour certains pour obtenir au final un élixir nacré d’un parfum délicat rempli de petite bulles de gaz l’amusait grandement. Mais quand il fallu apprendre des incantations, formules chimiques et les modes d’utilisation des plantes, tout se compliqua. La magie devint d’un ennui mortel.
Elle qui rêvait de maîtriser les éléments, faire jaillir des flammes, léviter des objets se retrouvait face à des livres jaunis par le temps. Rien de bien passionnant pour un enfant.

Son père continuait, imperturbable tandis qu’Artémis rêvassait en regardant par la fenêtre, les yeux fixés en direction de l’horizon. Le soleil commençait à disparaître peu à peu à l’Ouest, le calvaire allait prendre fin.

Et donc la Belladone fut très vite combinée à l’Hibiscus pour… Nous en reparlerons demain, cela sera tout pour aujourd’hui. Allez, file vite prendre ton bain. […]

La mère d’Artémis qui avait assisté à la leçon dans un coin de la pièce à l’abris des regards s’approcha de la table où la fillette avait oublié son cahier. Elle l’ouvrit et regarda son époux l’air désespéré.

-La magie l’ennuie au plus au point, il n’y a rien à faire. La Dame Noire a dû se tromper d’enfant…

-Allons ma chérie, laisse lui encore du temps, tout n’est pas perdu !

Le « miracle » se produisit en effet, six ans plus tard, lors du treizième anniversaire de la fillette.

III Treize ans: le déclic.

Artémis se tournait et se retournait sans cesse dans son lit, ne parvenant pas à trouver le sommeil.
Elle se remémorait la petite fête de son anniversaire : un treizième anniversaire qui ne différait pas beaucoup de ceux qu’elle avait connu jusqu’à présent. Ses amis, ses parents et quelques dizaines de vieux mages, sorciers, enchanteresses étaient réunis. Parlons-en de ces mages et de leurs « merveilleux » cadeaux! Rien de plus difficile que de simuler l’étonnement et surtout la joie devant leurs présents d’un goût douteux.
Oooooooh ! Un mini chaudron ! Tout… tout rouillé ! Enfin, je veux dire finement cuivré ! Comme c’est gentil ! Vous n’auriez pas dû ! Non vraiment pas dû !

Toute cette hypocrisie la rendait malade. Mais il ne fallait pas vexer les vieux sages… et pourtant ce n’était pas l’envie qui lui en manquait. Elle aurait bien volontiers fichu ces malotrus édentés et sans gêne dehors à coup de pied aux fesses. Heureusement que ses amis et parents compensaient…

Schlang !

La fenêtre s’était brusquement ouverte, la sortant de sa torpeur.

La fillette se leva en ronchonnant et s’approcha de la fenêtre. Elle fixa quelques instants la nouvelle lune dont la clarté contrastait avec l’intense bleu nuit du ciel. La pluie commença alors subitement à tomber, suivi d’un violent coup de tonnerre. L’enfant eut à peine le temps de pousser un peu la fenêtre qu’un éclair vint frapper sous celle-ci, la projetant au sol. […]

Lorsqu’elle se réveilla, le soleil commençait à peine à percer les nuages. Artémis ne se souvenait plus de la raison pour laquelle elle s’était endormie à même le sol, mais peu lui importait. Malgré la légère douleur qu’elle ressentait le long de son dos, elle fut prise d’une lubie soudaine…[…]

Au moment où son père poussa la porte de la salle de séjour, il resta sans voix devant l’étonnant spectacle qui s’offrait à lui.
Sa fille était assise à une table, à moitié cachée par des piles de vieux livres poussiéreux. Elle feuilletait frénétiquement l’un d’eux, une lueur de satisfaction dans le regard.

Ainsi le moment est enfin venu ,murmura son père.

-Hum… dis moi ma belle, es-tu enfin décidée et motivée pour t’impliquer pleinement dans l’apprentissage de la magie ?

-Ca… dépend !

Aie. Son père savait que ce ton signifiait qu’il allait y avoir des conditions à se requête.

-De quoi cela dépend-t-il ?

-Je veux apprendre l’autre magie.

-L’autre magie ?

Artémis leva les yeux au ciel.

-Mais oui ! Tu sais bien ! Celle que tu maîtrisais avant de rencontrer maman.

Son père blêmit.

-La… la magie noire ?

-Ouep ! Les sombres arcanes et tout le tralala !

Son père resta silencieux quelques instants. Il savait très bien ce qu’un refus de sa part aurait pour conséquences, l’ultimatum habilement suggéré par sa fille était on ne peut plus clair.

-Soit ! Mais je te préviens, tu n’auras droit qu’à une initiation, dans une optique de défense et de connaissances, ni plus ni moins. Que les choses soient bien claires. C’est à prendre ou à laisser…

Artémis regarda son père, les yeux pétillant de malice, un air triomphal sur le visage.

-Vendu !

Il ne lui restait plus qu’à apprendre la délicate nouvelle à sa femme… […]